samedi 12 septembre 2009

A Cracovie, la question de la Shoah parasite le dialogue interreligieux porté par la communauté Sant'Egidio


Le symbole pouvait difficilement être plus fort. Plusieurs dizaines de dignitaires religieux de toutes confessions venus du monde entier ont franchi ensemble les portes du camp d'extermination de Birkenau (Pologne), mardi 8 septembre. En procession et en musique, ils se sont lentement éloignés du porche surmonté d'un mirador par lequel s'engouffraient les convois de déportés arrivant de toute l'Europe.

Quelque 2 000 personnes ont accompagné les religieux dans ce pèlerinage le long de la voie ferrée qui pénètre dans le camp, dont ne subsistent qu'un champ lugubre de cheminées en briques, des vestiges des baraquements de bois, des ruines de chambres à gaz et, à l'entrée, quelques bâtiments préservés. Au cours d'une cérémonie parfaitement orchestrée, chaque délégation confessionnelle a déposé une couronne de fleurs sur les tombes honorant les victimes de la terreur nazie. Puis le kaddish (la prière juive pour les morts) a résonné sous un soleil encore estival.

Pour commémorer le 70e anniversaire du début de la seconde guerre mondiale et "prier ensemble pour la paix", la communauté de laïcs Sant'Egidio avait choisi, du 6 au 8 septembre, Cracovie, la ville de Jean Paul II, comme cadre de ses rencontres interreligieuses annuelles. A sa volonté de perpétuer chaque année "l'esprit d'Assise", inauguré en 1986 par le pape qui y avait réuni les représentants de toutes les religions au nom de la paix, Sant'Egidio a donc ajouté au programme une réflexion sur la Shoah et une visite des camps d'Auschwitz et Birkenau. Un choix audacieux tant l'antisémitisme reste une source de tensions entre religions.

Dans ce contexte, on ne pouvait que noter la faiblesse de la délégation musulmane, venue d'Inde, d'Afrique ou du Moyen-Orient. "Une situation due au ramadan", selon les organisateurs. Présent à la soirée inaugurale, un dignitaire de l'université égyptienne Al-Azhar s'est éclipsé lundi, sans passer par Auschwitz, après un discours dénonçant le mépris de l'Occident pour les musulmans. Quant à la table ronde consacrée au sujet, elle s'est déroulée en l'absence d'intervenants musulmans. "C'est un sujet qui regarde principalement le dialogue judéo-chrétien", a justifié son animateur, l'évêque italien Ambrogio Spreafico.

Au-delà des bonnes intentions, les conversations informelles soulignaient toutefois la difficulté du dialogue entre musulmans et juifs, notamment sur ce thème. "La Shoah est un sujet sensible pour les musulmans ; c'est devenu une question politique", a reconnu un responsable de Sant'Egidio.

La compréhension de la Shoah par le monde musulman est, il est vrai, inégale. "On n'en a aucune connaissance", a témoigné le responsable du centre islamique de New Delhi, l'Indien Wahiduddin Khan. "A Auschwitz, on voit le niveau atteint par l'humanité, c'est une honte et j'espère que cela ne se produira plus", a pour sa part commenté Hassan Hanafi, professeur de philosophie à l'université du Caire. Sincèrement ému à la sortie de la chambre à gaz du camp, il a toutefois mis en garde contre le "deux poids, deux mesures" et l'instrumentalisation du génocide juif. "Attention de ne pas oublier le Rwanda, la Birmanie ou Gaza."

L'Algérien Mohammad Esslimani, professeur de charia (loi islamique) en Arabie saoudite, s'est montré plus direct : "La notion de Shoah, les musulmans connaissent : ils vivent le même film à Gaza !" Taxant de "propagande" le révisionnisme iranien, il a précisé : "Au Moyen-Orient, on discute parfois des chiffres (le nombre de morts), pas des faits. Le problème n'est pas avec les juifs, mais avec Israël."

De son côté, le grand rabbin de Pologne, Michaël Schudrich, n'a pas caché son inquiétude : "A chaque fois que, dans le monde, la Shoah est niée, le monde se rapproche de la possibilité que cela se produise à nouveau." Au cours de ces trois jours, juifs, chrétiens, musulmans et bouddhistes ont défendu la nécessaire éducation des jeunes et le dialogue entre les religions, habités par la conviction du fondateur de Sant'Egidio, Andrea Riccardi : "La passion pour la paix peut changer l'Histoire."
Stéphanie Le Bars

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