lundi 28 février 2011

discours de Mme Hélène Mouchard-ZaY lors de l'inauguration du CERCIL


Discours Mme Hélène Mouchard-Zay, Directrice du CERCIL


27 janvier 1945: il y a 66 ans, en ce jour même devenu date symbolique, le monde découvrait l’atroce réalité des camps d’extermination, à Auschwitz, là même où avaient été assassinés, parmi d’innombrables autres,  les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dont nous tentons de retracer, ici, dans ce centre, l’histoire. Comment, en ce jour anniversaire, ne pas d’abord penser aux  interminables journées de souffrance extrême qu’ont vécues, dans les camps du Loiret, les 4400 enfants internés après l’enfer du Vel d’Hiv, séparés de leurs mères,  assassinés à Auschwitz.
 
Au-delà de sa charge symbolique,  ce jour d’inauguration est pour le Cercil un moment important, à la fois aboutissement et nouvelle étape.
 
Il y a 20 ans en effet, devant l’absence –pour ne pas dire le silence massif-  dans la mémoire locale et nationale de l’histoire des camps du Loiret, et cela malgré les publications du CDJC et de S. Klarsfeld, malgré les pèlerinages organisés chaque année dès la Libération par l’AADJF, à laquelle a succédé l’UDA,  dont je salue ici le président R. Esrail-, nous fûmes quelques-uns à éprouver l’urgence d’agir pour que cette mémoire soit présente dans notre espace public, et qu’elle soit portée non seulement par les associations d’anciens déportés –ce qui avait été le cas dès la Libération, comme je viens de le rappeler-,  mais aussi par les pouvoirs publics.
 
Ainsi est né le Cercil, avec l’aide précieuse, indispensable, de S. Klarsfeld, dont l’immense travail a été dès le départ, et continue à être, la base indispensable de nos recherches, avec aussi  le soutien d’H. Bulawko , qui ne peut être avec nous aujourd’hui mais que je salue affectueusement. Sans eux, rien n’aurait été possible. Le CRIF a été présent lui aussi dès le départ, en la personne d’E. Klein. Et dès le départ aussi, nous avons reçu le soutien de la mairie d’Orléans, dont le maire de l’époque, JP Sueur,  a tout de suite mis à notre disposition des locaux, une subvention, et l’aide logistique de la mairie. Tout de suite aussi les maires des communes concernées (H. Berthier, maire de Pithiviers, E. Suttin, maire de BR, F.Landré, maire de Jargeau) ont adhéré au projet : maires dont je salue le courage, car à l’époque, faut-il le rappeler, l’unanimité n’était pas la règle, et ils ont dû parfois affronter, dans leur propre ville, une opinion qui n’était pas toujours favorable à l’évocation, «  réveil » entendait-on, de ce sombre passé. J’ai le souvenir des réticences qui se sont alors exprimées, parfois même avec véhémence : pourquoi remuer ce passé ?
 
Il a fallu convaincre…
 
Notre première action – je me souviens à quel point nous en ressentions la nécessité avec une sorte de fièvre - a été de fabriquer une exposition, qui fut présentée à la mairie d’Orléans, –lieu symbolique qui nous semblait important- et  inaugurée le 15 juin 1992.  Madame S. Veil, vous nous avez fait l’honneur d’y assister, présente ce jour-là comme vous l’avez été à chaque étape importante de la vie du Cercil, et je vous en remercie profondément.
 
Cette expo, plusieurs fois actualisée au fil de nos recherches, a circulé dans la France entière pendant toutes ces années.
 
20 ans donc de recherches, de collecte de témoignages, de publications, d’interventions « hors les murs », en particulier dans de nombreux établissements scolaires.
 
Pendant toutes ces années, la Ville, la Région, la DMPA, la DRAC, le Conseil Général et, dès sa création, la Fondation pour la mémoire d la Shoah, ont accompagné l’action du Cercil.
Autant d’institutions dont je voudrais remercier chaleureusement les représentants ici présents.
 
De plus en plus,  au fil des années, s’est imposée à nous la nécessité d’ancrer cette mémoire dans le département même où ces camps ont fonctionné. Ce projet était d’ailleurs inscrit dans nos statuts dès 1991, même si les échéances nous en semblaient alors très lointaines. Il fallait que, dans ce département, existe un lieu public où se trouve inscrite et pérennisée la mémoire de toutes ces victimes.
 
Car la mémoire de ces camps,  nécessaire, est une mémoire difficile : elle n’ira jamais de soi, elle demandera toujours, j’en suis convaincue, à être portée et défendue. Il a fallu du temps pour reconnaître la complicité criminelle de Vichy dans le processus qui, comme tente de le reconstituer notre exposition, a conduit à de tels  événements, et en particulier au  plus insoutenable : le sort atroce fait aux enfants du Vel d’Hiv.
 
Quand auront disparu les derniers témoins, quand aura disparu la génération contemporaine des enfants internés et déportés, la tentation de l’oubli risque d’être forte, l’irrésistible envie de détourner son regard de cette horreur. D’où l’importance d’un lieu qui ne cesserait plus de rappeler ce qui fut, comme le dit S. Klarsfeld, « le paroxysme de la solution finale en France ».
 
M. le maire,  vous avez tout de suite été sensible à la demande du Cercil de bénéficier de locaux permettant d’inscrire cette mémoire de façon durable dans la ville, et je vous en remercie. Vous avez mis à disposition du Cercil ce lieu exceptionnel, remarquablement  restauré, dans lequel va  désormais vivre, dans notre musée-mémorial, la mémoire des milliers de victimes qui n’ont quitté ces camps que pour le camp d’extermination. Pour participer à son aménagement, les appels que nous avons également lancés à la Région, à la FMS, et à l’Etat (DRAC, DMPA) ont été largement entendus : qu’ils en soient tous remerciés, ainsi que la mairie de Paris et le Sénat, qui ont également contribué.
 
M. le Recteur a bien voulu nous donner les moyens de constituer un service pédagogique. M. l’Inspecteur d’Académie qui le représentez, vous voudrez bien l’en remercier.
 
Merci aussi à Mecenentreprise, qui a permis un beau projet : l’implantation d’une baraque de Beaune-la-Rolande, désormais classée monument historique.
 
Et puis, il a fallu concevoir le projet muséographique de ce lieu et le réaliser. Ce fut un travail collectif, auquel beaucoup, chacun à sa place, ont contribué. Nos remerciements vont donc:
 
- à la mairie d’Orléans, qui a assuré la maîtrise d’ouvrage, ainsi qu’aux personnels de la ville, dont beaucoup se sont investis personnellement dans cette réalisation.
 
- à l’équipe de scénographes, l’agence Scarabée, maître d’œuvre.
 
- aux entreprises qui ont mené ce chantier.
 
 Enfin, -je les ai gardés pour la fin, mais la gratitude certes n’est pas moindre-,  je souhaite remercier l’équipe du Cercil pour le travail, considérable, qu’elle a fourni durant de longs mois, pour que ce projet voie le jour, et en particulier pour la muséographie. Merci à N. Grenon, sa directrice, qui a porté ce projet et en a assuré la coordination, tout en continuant à développer les activités du Cercil, qui lui doit tant. Merci à C. Thion, notre historienne, maintenant sans doute une des meilleures spécialistes de l’histoire des camps du Loiret, à J. Minier, qui assure la logistique indispensable, à M. Decke, notre nouvelle médiatrice  culturelle.
 
 Et je n’oublie pas tous ceux, rescapés ou familles de victimes, qui ont accepté  de nous confier leur témoignage ou leurs documents personnels, qui enrichissent désormais notre exposition. Je sais qu’ils sont nombreux à être présents aujourd’hui, je leur dis notre reconnaissance et notre affection.
 
Je n’oublie pas non plus les historiens qui nous ont apporté leur concours et leur expertise : S. Klarsfeld  bien sûr, A. Wievioka, D. Peschanski, B. Verny, O. Lalieu, du Mémorial de la Shoah, ainsi que les Archives Départementales du Loiret, qui ont bien voulu nous prêter plusieurs documents originaux pour notre exposition.
 
Merci aussi aux bénévoles, particulièrement Anita Cohen et Jeannie Gérin, dont l’aide nous est précieuse.
 
Nouvelle étape pour le Cercil disais-je : l’installation dans ce lieu magnifique, au cœur de la ville, va nous permettre d’accueillir un large public, et de continuer à assurer nos missions en amplifiant notre action.
 
Le musée-mémorial que nous présentons  sera  ainsi dédié à la mémoire, mais aussi à la connaissance et à la pédagogie. Travail de mémoire, devoir d’histoire.
 
Au-delà en effet de l’émotion que chacun éprouve à l’évocation de tels événements, une question se pose, lancinante, qu’il faut bien affronter : comment  de tels événements ont-ils été possibles ? Ici, à quelques kms ? Comment en est-on arrivé là ?
 
 L’exposition, ainsi que  le centre de ressources et la salle d’archives que nous mettons à disposition du public, seront là pour aider  les visiteurs à connaître et, s’il se peut, à comprendre.
 
Car il faut connaître l’implacable enchaînement au terme duquel il y eut Auschwitz. Il faut tenter de comprendre comment une telle catastrophe, véritable rupture dans l’histoire, a été possible, au cœur du 20ème siècle européen, et comment, en France,  la politique d’un régime infâme a pu s’en rendre complice.  Cette histoire ne fut ni une parenthèse ni un accident ni une fatalité de l’histoire. Elle résulta, toujours, de choix politiques ou personnels,  individuels ou collectifs, qui auraient pu être différents, à chaque étape. Elle fut souvent encouragée par l’indifférence ou l’inertie,  par de petites et grandes lâchetés, au niveau de l’Etat ou des individus.
 
« Est désigné comme juif… » : Tels sont les premiers mots du statut des Juifs, signé le 3 octobre 1940 par Pétain. On connaît, de  ces mots, les conséquences mortelles.
 
Désigner une population, c’est un geste dont l’histoire nous enseigne, à plusieurs reprises, tous les dangers. Ce geste, dès lors qu’il stigmatise une population en l’isolant sous les yeux de tous, dès lors qu’il en fait la responsable des tous les maux de la société,  prend le risque d’engager un processus dont on ne mesure pas les effets.
 
Le pire est advenu. Il est arrivé en Allemagne. Comme vous avez su le rappeler en 1995, M. le Président, il est arrivé dans notre pays, dans ces camps si proches, quand des policiers français ont arrêté, interné et mis dans les trains de la mort ces enfants dont vous venez  de voir les noms, parfois la photo.
 
Le pire est advenu. Comme le dit Primo Levi, il peut donc advenir à nouveau.
 
Mais on sait désormais une chose : que le pire est, dans tous les cas, l’aboutissement, certes extrême, d’un processus qui commence toujours, de façon souvent presque invisible,  par des renoncements successifs, par des acceptations quotidiennes que soit ébréché, même de façon minuscule, le principe républicain qui fonde notre société : l’égalité en droits et en dignité de tous les êtres humains. 
 

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